Monika Fagerholm (Finlande)
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Monika Fagerholm (Finlande)
La Fille Américaine
Den Amerikanska Flickan
Traduction (du suédois) : Anna Gibson
ISBN : 9782253125716
Vais-je oser ? Oui, il le faut. Ce roman de la Finlandaise suédophone Monika Fagerholm est un authentique chef-d'oeuvre : complexité des thèmes traités dont, largement en tête, la réinterprétation d'un fait divers et la création des légendes, complexité des personnages (celui de Doris Flikenberg restera pour moi le plus attachant, le plus profond) et, si possible, complexité exacerbée des liens qui unissent tout cela pour faire tenir debout cette histoire étrange, inquiétante, poétique et aussi fabuleuse, aussi insaisissable qu'un serpent de mer apparaissant par ici sous tel aspect et, par là, sous tel autre, avant de sombrer pour quelque temps, à l'instar de la Fille américaine dans le marais de Bule, abandonnant le lecteur perplexe, impatient et sans cesse désorienté par ce qu'il découvre, puis découvre encore, à l'idée qu'il lui faut au moins lire une deuxième fois ce livre pour en saisir toutes les subtilités. Précisons au passage que "La Fille Américaine" possède une "suite", "La Scène A Paillettes", dont nous parlerons ensuite et qui, bien que de facture plus classique - mais à peine :cafemanie: - fait rebondir et parachève le récit. (En tous cas, telle est notre opinion mais nous ne doutons pas que, aux yeux de certains, cette "Scène A Paillettes" ait paru inutile, voire superfétatoire.)
Une jeune Américaine, Eddie de Wire, dix-neuf ans tout ronds, débarque un jour dans un village côtier de Finlande. Elle a le temps d'entamer une liaison avec Björn, qui a à peu près son âge. Et puis elle disparaît. Dans le marais de Bule. Aspirée sans doute par les courants et sans qu'on sache avec exactitude ce qui s'est passé. Björn est retrouvé pendu dans l'une des remises familiales. Cette nature colérique a-t-elle tué la Fille américaine en apprenant que celle-ci le trompait avec un autre ? Ou quelqu'un d'autre s'est-il chargé de la funèbre besogne pour une tout autre raison ? A moins que ce ne soit un accident, tout bête.
Mais avant tout, qui était la Fille américaine ? C'est-à-dire : était-elle vraiment ce que tout le monde disait qu'elle était ? ...
Quelques années plus tard, Doris Flikenberg, une enfant-martyre recueillie par la mère de Björn (dite aussi "la mère des Cousins), se met en tête, avec son amie Sandra Wärn, laquelle vit avec son père "dans la maison de la partie boueuse de la forêt", de résoudre l'énigme de la Fille américaine. Cette Fille américaine dont elle retrouvera d'aillleurs le corps peu de temps avant de comprendre - de s'imaginer ? :hum: - une foule de choses qui la pousseront, pauvre Doris Flikenberg, si droite, si optimiste, si vaillante, si entière, à se tirer une balle dans la tête, tout en haut du rocher de Lore, du côté du marais de Bule. Doris Flikenberg venait d'avoir seize ans.
La Fille américaine et son souvenir rampant, hantant les pensées de tous ceux qui l'ont connue dans ce petit village que l'auteur n'appelle jamais que le Coin, et l'incompréhensible suicide de Doris Flikenberg constituent l'armature de ce roman, écrit en un style qui fait beaucoup songer à Faulkner tant par la construction des phrases elle-même que par la façon dont Fagerholm promène son lecteur dans le temps. Et il y a la puissance. Car "La Fille américaine" est un récit d'une force hallucinante mais insidieuse, dont on ne prend conscience que lorsqu'il est trop tard, lorsque l'univers de la Finlandaise nous a absorbés, nous, lecteurs, et déjà transformés. C'est un labyrinthe, un jeu (ou pas ? ), ou alors plusieurs jeux (ou pas ? ) intriqués les uns dans les autres, avec des règles qui ne sont pas définies (finalement, ce n'est pas important) jusqu'à ce que, justement, elles se définissent elles-mêmes (pan ! Doris est morte ) et des personnages qui ne sont que des pions sur un vaste échiquier où l'on aimerait bien croiser le Destin mais justement, le Destin existe-t-il ? Ou joue-t-il (ou pas ? ) à cache-cache avec les héros du livre et, par là-même, avec nous, ses lecteurs ? ...
Raconter ou résumer, avec justesse et concision, "La Fille Américaine", est chose rigoureusement impossible. La meilleure définition qu'on pourrait - à la limite - donner de ce livre, est celle d'un kaléidoscope littéraire. Ou, mieux encore, d'un labyrinthe de miroirs où l'on finit par ne plus se reconnaître du tout - et en plus, on est tenté de croire qu'on s'est égaré dans ces multiples méandres dont on ne comprend la nécessité que longtemps après les avoir empruntés, suant, peinant, totalement fascinés, hypnotisés, tout-à-fait "ailleurs", dans cette extraordinaire Autre dimension que nous révèlent certains ouvrages élus, magiques ("Alice au Pays des Merveilles", "Le Maître & Marguerite","Absalon ! Absalon !", "L'Ange Exilé" et je ne vous donne que quelques uns des titres qui m'ont marquée à ce point, titres parmi lesquels j'ai le bonheur d'inclure désormais "La Fille Américaine").
Evidemment, certains d'entre nous ne ressentiront aucune fascination et décrocheront dès les premières pages. "La Fille Américaine" nécessite en effet un réel effort d'attention de la part du lecteur. Non pas tant pour sa base "policière" - qui ne sert en fait que de prétexte - que pour la façon dont se développe le récit et dont s'imbriquent les différents thèmes. Il ne faut laisser passer aucun détail : tout est important pour la compréhension des personnages et de leurs motivations. Comme dans un thriller, en somme, à ceci près que "La Fille Américaine" n'est en rien un thriller et que la mort de son héroïne-titre n'est en fait, répétons-le, qu'un prétexte pour l'auteur : prétexte pour dépeindre des enfants, puis des adolescents plus ou moins laissés à leurs seuls fantasmes et rêves par des adultes dont très peu - la "mère des Cousins" est la seule à qui je décernerai ce titre - acceptent d'endosser leurs responsabilités non seulement par rapport à leur propre vie mais aussi par rapport à celle de leurs rejetons. De façon quasi générale - tous moins une - les adultes qui évoluent dans "La Fille Américaine" sont des mous, des faibles, des rêveurs, des alcooliques - des incapables. Et le pire, c'est que la maison pour malades mentaux attend la seule adulte qui, parmi eux, aura au moins essayé de se conduire comme telle. D'accord, elle en sortira pour aller se reposer et reprendre sa vie de jeune fille chez son père mais la conclusion est quand même bien amère, non ? ...
Et attention donc : il y a une "suite", "La Scène A Paillettes", dont nous parlerons bientôt. En attendant, essayez de lire "La Fille Américaine." Pour moi, ce sera, je vous le dis, mon coup de coeur de l'année 2014.
Une jeune Américaine, Eddie de Wire, dix-neuf ans tout ronds, débarque un jour dans un village côtier de Finlande. Elle a le temps d'entamer une liaison avec Björn, qui a à peu près son âge. Et puis elle disparaît. Dans le marais de Bule. Aspirée sans doute par les courants et sans qu'on sache avec exactitude ce qui s'est passé. Björn est retrouvé pendu dans l'une des remises familiales. Cette nature colérique a-t-elle tué la Fille américaine en apprenant que celle-ci le trompait avec un autre ? Ou quelqu'un d'autre s'est-il chargé de la funèbre besogne pour une tout autre raison ? A moins que ce ne soit un accident, tout bête.
Mais avant tout, qui était la Fille américaine ? C'est-à-dire : était-elle vraiment ce que tout le monde disait qu'elle était ? ...
Quelques années plus tard, Doris Flikenberg, une enfant-martyre recueillie par la mère de Björn (dite aussi "la mère des Cousins), se met en tête, avec son amie Sandra Wärn, laquelle vit avec son père "dans la maison de la partie boueuse de la forêt", de résoudre l'énigme de la Fille américaine. Cette Fille américaine dont elle retrouvera d'aillleurs le corps peu de temps avant de comprendre - de s'imaginer ? :hum: - une foule de choses qui la pousseront, pauvre Doris Flikenberg, si droite, si optimiste, si vaillante, si entière, à se tirer une balle dans la tête, tout en haut du rocher de Lore, du côté du marais de Bule. Doris Flikenberg venait d'avoir seize ans.
La Fille américaine et son souvenir rampant, hantant les pensées de tous ceux qui l'ont connue dans ce petit village que l'auteur n'appelle jamais que le Coin, et l'incompréhensible suicide de Doris Flikenberg constituent l'armature de ce roman, écrit en un style qui fait beaucoup songer à Faulkner tant par la construction des phrases elle-même que par la façon dont Fagerholm promène son lecteur dans le temps. Et il y a la puissance. Car "La Fille américaine" est un récit d'une force hallucinante mais insidieuse, dont on ne prend conscience que lorsqu'il est trop tard, lorsque l'univers de la Finlandaise nous a absorbés, nous, lecteurs, et déjà transformés. C'est un labyrinthe, un jeu (ou pas ? ), ou alors plusieurs jeux (ou pas ? ) intriqués les uns dans les autres, avec des règles qui ne sont pas définies (finalement, ce n'est pas important) jusqu'à ce que, justement, elles se définissent elles-mêmes (pan ! Doris est morte ) et des personnages qui ne sont que des pions sur un vaste échiquier où l'on aimerait bien croiser le Destin mais justement, le Destin existe-t-il ? Ou joue-t-il (ou pas ? ) à cache-cache avec les héros du livre et, par là-même, avec nous, ses lecteurs ? ...
Raconter ou résumer, avec justesse et concision, "La Fille Américaine", est chose rigoureusement impossible. La meilleure définition qu'on pourrait - à la limite - donner de ce livre, est celle d'un kaléidoscope littéraire. Ou, mieux encore, d'un labyrinthe de miroirs où l'on finit par ne plus se reconnaître du tout - et en plus, on est tenté de croire qu'on s'est égaré dans ces multiples méandres dont on ne comprend la nécessité que longtemps après les avoir empruntés, suant, peinant, totalement fascinés, hypnotisés, tout-à-fait "ailleurs", dans cette extraordinaire Autre dimension que nous révèlent certains ouvrages élus, magiques ("Alice au Pays des Merveilles", "Le Maître & Marguerite","Absalon ! Absalon !", "L'Ange Exilé" et je ne vous donne que quelques uns des titres qui m'ont marquée à ce point, titres parmi lesquels j'ai le bonheur d'inclure désormais "La Fille Américaine").
Evidemment, certains d'entre nous ne ressentiront aucune fascination et décrocheront dès les premières pages. "La Fille Américaine" nécessite en effet un réel effort d'attention de la part du lecteur. Non pas tant pour sa base "policière" - qui ne sert en fait que de prétexte - que pour la façon dont se développe le récit et dont s'imbriquent les différents thèmes. Il ne faut laisser passer aucun détail : tout est important pour la compréhension des personnages et de leurs motivations. Comme dans un thriller, en somme, à ceci près que "La Fille Américaine" n'est en rien un thriller et que la mort de son héroïne-titre n'est en fait, répétons-le, qu'un prétexte pour l'auteur : prétexte pour dépeindre des enfants, puis des adolescents plus ou moins laissés à leurs seuls fantasmes et rêves par des adultes dont très peu - la "mère des Cousins" est la seule à qui je décernerai ce titre - acceptent d'endosser leurs responsabilités non seulement par rapport à leur propre vie mais aussi par rapport à celle de leurs rejetons. De façon quasi générale - tous moins une - les adultes qui évoluent dans "La Fille Américaine" sont des mous, des faibles, des rêveurs, des alcooliques - des incapables. Et le pire, c'est que la maison pour malades mentaux attend la seule adulte qui, parmi eux, aura au moins essayé de se conduire comme telle. D'accord, elle en sortira pour aller se reposer et reprendre sa vie de jeune fille chez son père mais la conclusion est quand même bien amère, non ? ...
Et attention donc : il y a une "suite", "La Scène A Paillettes", dont nous parlerons bientôt. En attendant, essayez de lire "La Fille Américaine." Pour moi, ce sera, je vous le dis, mon coup de coeur de l'année 2014.
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"On est puceau de l'Horreur comme on l'est de la Volupté."
Louis-Ferdinand Destouches, dit Céline.
Re: Monika Fagerholm (Finlande)
Den Amerikanska Flickan
Traduction (du suédois) : Anna Gibson
ISBN : 9782253125716
L'incipit :
[...] ... Personne ne connaissait ma rose dans le monde à part moi. (Tennessee Williams)
Ici commence la musique. C'est si simple. Ca se passe à la fin des années 1960, à Coney Island, près de New-York. On trouve ici des plages, des aires de pique-nique, un petit parc d'attractions, quelques restaurants, des machines à sous amusantes, voilà.
Il y a beaucoup de monde. Elle ne se distingue pas de la foule. Elle est jeune, quinze, seize ans, robe légère, cheveux blonds pas très nets, ça fait plusieurs jours qu'elle ne les a pas lavés. Elle arrive de San Francisco et, avant, d'un autre endroit. Elle a toutes ses affaires dans un sac, qu'elle porte sur le bras. Un sac à bandoulière, bleu, dessus il est écrit Pan Am.
Elle se balade mollement, parle à quelques personnes, répond quand on s'adresse à elle, ressemble un peu à une hippie, ce qu'elle n'est pas. Elle n'est rien, en fait. Elle voyage. Vit au jour le jour. Rencontre du monde.
Do you need a place to crash ?
Il y a toujours quelqu'un pour poser cette question.
Et c'est possible de vivre ainsi, encore à cette époque.
Elle a dans la main quelques dollars que quelqu'un vient de lui donner. Elle a demandé cet argent, elle a faim, elle veut manger. En fait elle a juste faim, rien d'autre. Sinon elle est heureuse, c'est une belle journée, ici, en dehors de la ville. Le ciel est haut, le monde est vaste.
Quelques gamins s'amusent près de la cabine à enregistrer des disques. Il y en a encore un peu partout à cette époque, en particulier dans ce genre d'endroit : "Enregistre ta propre chanson et offre-la à quelqu'un. Ta femme, ton mari, un ami. Ou garde-la pour toi."
Comme un petit gadget-souvenir amusant. ... [...]
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"On est puceau de l'Horreur comme on l'est de la Volupté."
Louis-Ferdinand Destouches, dit Céline.
Re: Monika Fagerholm (Finlande)
[...] ... Ce fut donc ainsi que commença l'effondrement - d'une façon pas du tout inattendue, bien qu'on pût superficiellement penser le contraire. Sandra, pour sa part, attendait ce moment. C'était peut-être bizarre. Mais tout aussi bizarre de continuer comme si de rien n'était. Comme elle l'avait fait au début. Tout en sachant que ce n'était pas dans l'ordre des choses, pas normal. Mais normal, c'était quoi ? Maintenant que Doris n'était plus là, les mots aussi pâlissaient ; les mondes qu'ils recelaient, toutes les nuances, toutes les associations, les phrases inventées. Normal redevenait normal, dans un sens normal. Cela facilitait bien entendu la communication avec l'entourage, la possibilité d'établir un contact et une compréhension, mais cela retirait en même temps autre chose, d'essentiel, un goût, une saveur.
Et la grande question à laquelle il fallait répondre était tout simplement celle qui avait été continuellement repoussée jusque là : était-il même possible d'exister sans ce goût-là ? En répondant oui, on mentait tout autant que si on répondait non et qu'on agissait en conséquence - en se faisant de nouvelles camarades, par exemple, comme s'il était question de ça, d'avoir une "camarade." Tel était le dilemme de Sandra depuis la mort de Doris. Elle ne voulait pas mourir, mais elle ne voyait pas comment elle allait pouvoir continuer à vivre.
C'était la réalité toute crue. Et quand elle commençait à penser à ça - non, précisément, on ne pouvait pas y penser, pour des raisons tout à fait logiques. Il n'y avait qu'une seule solution, mourir la mort, mais ça, elle ne le voulait pas, alors il n'y avait plus qu'à repousser toute pensée et - hou là, que se passait-il, voilà que Doris se mettait à parler en elle - "continuer son bonhomme de chemin." ... [...]
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"On est puceau de l'Horreur comme on l'est de la Volupté."
Louis-Ferdinand Destouches, dit Céline.
La Scène A Paillettes
Glitterscenen
Traduction (du suédois) : Anna Gibson
ISBN : 9782253162988
Il nous a été impossible de comprendre si, dès le départ, cette "Scène A Paillettes", qui nous donne enfin la clé de la mort de "La Fille Américaine", était prévue comme une "suite", un second tome, ou bien si elle ne l'est devenue que pour des raisons commerciales, à cause de l'ampleur du manuscrit original. Quoi qu'il en soit, renoncez à l'idée de lire "La Scène ..." avant "La Fille ..." Non seulement vous n'y comprendriez pas grand chose, mais en plus, vous auriez l'impression que Monika Fagerholm a usurpé sa réputation littéraire. Bref, vous auriez tout faux.
Même si nous sommes encore bien loin d'une construction classique, "La Scène A Paillettes" adopte un style moins concis, moins elliptique que "La Fille Américaine." En revanche, les retours en arrière sont toujours là et l'épilogue nous renvoie directement en 1969, aux jours de la mort d'Eddie de Wire. Sinon, l'action se situe pour l'essentiel dans les années 2000. Les adolescents qui tenaient la vedette dans "La Fille Américaine" ont grandi ou ont disparu. Certains parce qu'ils sont morts (Doris Flikenberg), d'autres parce qu'ils ont fui (Rita, l'une des soeurs de Bengt). Pour nous conter cette partie de l'histoire, ne restent en piste que Solveig, la jumelle de Rita, Suzette Plackèn, qu'elle a jadis sauvée de la noyade et Maj-Gun Maalamaa, la fille de l'ancien pasteur du Coin. Evidemment, ces personnages, le lecteur les a déjà aperçus : Solveig, présente, avec Rita - ou du moins, c'est ce qu'on nous a toujours dit - au moment même où Eddie de Wire est tombée dans le marais de Bule ; Suzette, qui a travaillé un temps dans le kiosque de glaces qui appartenait à Jeannette Lindström ; et Maj-Gun qui, au temps où elle n'était qu'une enfant aussi volontaire et aussi entière qu'elle, s'est prise de bec une fois avec Doris Flikenberg.
Au début, cette mise en valeur de personnages qui, jusqu'ici, avaient passé pour secondaires, déstabilise un peu le lecteur. Mais il s'habitue assez vite et s'aperçoit alors, toujours insensiblement, par de menus détails, de menues réflexions, que toute la vérité n'a pas encore été dévoilée. D'ailleurs, autour du marais de Bule et dans le Coin, la Mort et le Destin ne cessent - n'ont cessé - de rôder depuis les dernières pages de "La Fille Américaine." Ainsi, la "maison de la partie boueuse de la forêt" a sombré dans les terres marécageuses : ne surnage que l'escalier extérieur, long de quarante marches. Bengt est mort - suicide ou meurtre, le doute demeure et ne sera pas levé. A défaut des lieux, le spectre de la Fille américaine continue à hanter les esprits au point qu'il provoquera - indirectement - la mort d'une autre toute jeune fille, Ulla Bäckström. Celle-ci, fascinée par cette mort jamais tout à fait élucidée, avait écrit pour le lycée du Coin une pièce sur le sujet. Elle y tenait bien sûr le rôle principal, celui de la Fille américaine.
La Mort, dans ce deuxième volume, apparaît toute-puissante. Maj-Gun enfant joue avec un masque qu'elle a baptisé "l'Ange de la Mort "Liz" Maalamaa." Coïncidence ou non, ce masque est récupéré par Ulla Backström qui l'arbore lorsque sonne sa dernière heure. Et c'est quelqu'un que, dès sa jeunesse, on avait surnommé "Ange de la Mort" qui, dans une crise de folie, fait basculer Ulla, dix-huit-dix-neuf ans, par dessus le balcon de sa chambre et dans le néant. Mais, derrière la Mort, au fur et à mesure que se développe le récit, le lecteur voit se préciser la silhouette du Destin, appliqué à tisser et à retisser les fils de sa trame : chacun d'eux a son importance, aucun d'eux n'est superflu et si certains doivent finir sous le ciseau, n'est-ce pas, finalement, conforme à ce qui doit, à ce qui devait, être ?
A lire. Mais seulement si vous avez réussi à "entrer" dans "La Fille Américaine." Sinon, ce n'est pas la peine. Les deux livres forment un tout, un univers étrange, en apparence chaotique et pourtant redoutablement logique, qui baigne dans un onirisme et une poésie qu'il faut apprivoiser l'un et l'autre, avec des personnages hors-norme dont les pensées et les actes font songer, de manière irrésistible et troublante, à la fameuse tirade de "Macbeth" :
"Demain, puis demain, puis demain glisse à petits pas de jour en jours, jusqu'à la dernière syllabe du registre des temps ; et tous nos hiers n'ont fait qu'éclairer pour des fous le chemin de la mort poudreuse. Eteins-toi, éteins-toi, court flambeau ! La vie n'est qu'un fantôme errant, un pauvre comédien qui se pavane et s'agite durant son heure sur scène et qu'ensuite on n'entend plus ; c'est une histoire dite par un idiot, pleine de fracas et de furie et qui ne signifie rien..."
... Mais un rien somptueux, les amis ! Et c'est ça qui compte ! ...
Même si nous sommes encore bien loin d'une construction classique, "La Scène A Paillettes" adopte un style moins concis, moins elliptique que "La Fille Américaine." En revanche, les retours en arrière sont toujours là et l'épilogue nous renvoie directement en 1969, aux jours de la mort d'Eddie de Wire. Sinon, l'action se situe pour l'essentiel dans les années 2000. Les adolescents qui tenaient la vedette dans "La Fille Américaine" ont grandi ou ont disparu. Certains parce qu'ils sont morts (Doris Flikenberg), d'autres parce qu'ils ont fui (Rita, l'une des soeurs de Bengt). Pour nous conter cette partie de l'histoire, ne restent en piste que Solveig, la jumelle de Rita, Suzette Plackèn, qu'elle a jadis sauvée de la noyade et Maj-Gun Maalamaa, la fille de l'ancien pasteur du Coin. Evidemment, ces personnages, le lecteur les a déjà aperçus : Solveig, présente, avec Rita - ou du moins, c'est ce qu'on nous a toujours dit - au moment même où Eddie de Wire est tombée dans le marais de Bule ; Suzette, qui a travaillé un temps dans le kiosque de glaces qui appartenait à Jeannette Lindström ; et Maj-Gun qui, au temps où elle n'était qu'une enfant aussi volontaire et aussi entière qu'elle, s'est prise de bec une fois avec Doris Flikenberg.
Au début, cette mise en valeur de personnages qui, jusqu'ici, avaient passé pour secondaires, déstabilise un peu le lecteur. Mais il s'habitue assez vite et s'aperçoit alors, toujours insensiblement, par de menus détails, de menues réflexions, que toute la vérité n'a pas encore été dévoilée. D'ailleurs, autour du marais de Bule et dans le Coin, la Mort et le Destin ne cessent - n'ont cessé - de rôder depuis les dernières pages de "La Fille Américaine." Ainsi, la "maison de la partie boueuse de la forêt" a sombré dans les terres marécageuses : ne surnage que l'escalier extérieur, long de quarante marches. Bengt est mort - suicide ou meurtre, le doute demeure et ne sera pas levé. A défaut des lieux, le spectre de la Fille américaine continue à hanter les esprits au point qu'il provoquera - indirectement - la mort d'une autre toute jeune fille, Ulla Bäckström. Celle-ci, fascinée par cette mort jamais tout à fait élucidée, avait écrit pour le lycée du Coin une pièce sur le sujet. Elle y tenait bien sûr le rôle principal, celui de la Fille américaine.
La Mort, dans ce deuxième volume, apparaît toute-puissante. Maj-Gun enfant joue avec un masque qu'elle a baptisé "l'Ange de la Mort "Liz" Maalamaa." Coïncidence ou non, ce masque est récupéré par Ulla Backström qui l'arbore lorsque sonne sa dernière heure. Et c'est quelqu'un que, dès sa jeunesse, on avait surnommé "Ange de la Mort" qui, dans une crise de folie, fait basculer Ulla, dix-huit-dix-neuf ans, par dessus le balcon de sa chambre et dans le néant. Mais, derrière la Mort, au fur et à mesure que se développe le récit, le lecteur voit se préciser la silhouette du Destin, appliqué à tisser et à retisser les fils de sa trame : chacun d'eux a son importance, aucun d'eux n'est superflu et si certains doivent finir sous le ciseau, n'est-ce pas, finalement, conforme à ce qui doit, à ce qui devait, être ?
A lire. Mais seulement si vous avez réussi à "entrer" dans "La Fille Américaine." Sinon, ce n'est pas la peine. Les deux livres forment un tout, un univers étrange, en apparence chaotique et pourtant redoutablement logique, qui baigne dans un onirisme et une poésie qu'il faut apprivoiser l'un et l'autre, avec des personnages hors-norme dont les pensées et les actes font songer, de manière irrésistible et troublante, à la fameuse tirade de "Macbeth" :
"Demain, puis demain, puis demain glisse à petits pas de jour en jours, jusqu'à la dernière syllabe du registre des temps ; et tous nos hiers n'ont fait qu'éclairer pour des fous le chemin de la mort poudreuse. Eteins-toi, éteins-toi, court flambeau ! La vie n'est qu'un fantôme errant, un pauvre comédien qui se pavane et s'agite durant son heure sur scène et qu'ensuite on n'entend plus ; c'est une histoire dite par un idiot, pleine de fracas et de furie et qui ne signifie rien..."
... Mais un rien somptueux, les amis ! Et c'est ça qui compte ! ...
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Re: Monika Fagerholm (Finlande)
Glitterscenen
Traduction (du suédois) : Anna Gibson
ISBN : 9782253162988
[...] ... Les jumelles. Rita, Solveig, de la maison des cousins. Voilà pourquoi la baronne se rendait au marais de Bule ! Elle allait les retrouver. Les jumelles, toujours fourrées au marais, tôt le matin quand les honnêtes gens dormaient encore. Pour "s'entraîner." Devenir "championnes de natation." Et puis quoi encore ? Quel ramdam autour de ce "potentiel" qu'elles s'estimaient avoir. Dont elles se vantaient à tour de bras en faisant semblant de parler entre elles, mais à haute et intelligible voix pour que tout le monde l'entende. Et blabla, et que je te détaille tous les "sacrifices" requis, toutes les "exigences", "s'entraîner, s'entraîner, s'entraîner ..."
Oui, oui. Bien possible qu'on ait eu ce genre de pensées dans le Coin, à l'époque déjà, avant que tout n'arrive. Genre : pour qui se prenaient-elles, ces deux-là ? Ho ! En vrai, elles n'avaient vraiment rien d'extraordinaire. Pas de quoi s'exciter. Cette "maison des cousins" par exemple, d'où elles sortaient - c'était quoi, exactement, comme endroit ?
Dans ce nouveau contexte, voilà qu'on se rappelle tout ce qu'on croit savoir à leur sujet, pas grand chose, mais tout de même bien étrange. L'horrible vieux, celui qu'on appelait le "père des cousins", qui avait gagné le terrain au jeu, les parents morts - quel genre de "danseurs", au fait, ces deux-là ? Des forains, des artistes de cirque ? Et puis soudain un souvenir, tel l'éclair : musique de danse s'échappant par une fenêtre ouverte, rideaux fermés. Notes de rumba. Un rythme entêtant, hypnotique, par les jours d'été chauds et sans vent, autour de la villa de la Première Pointe. Le danseur et sa femme, qui s'entraînaient dans le grand salon en vue d'un concours de danse.
Ce rythme-là, et les enfants silencieux. Les trois maudits. Et, plus tard, après l'accident, les trois enfants en rang d'oignons, grands et costauds tous les trois, ils avaient toujours fait plus que leur âge, adossés au soubassement de pierre de la villa.
Note de rumba, entêtantes, comme si on pouvait encore entendre la musique autour d'eux.
Un tel héritage, un tel mauvais sang dans les gènes.
On frissonne quand on y pense. Ces enfants-là. ... [...]
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Louis-Ferdinand Destouches, dit Céline.
Re: Monika Fagerholm (Finlande)
[...] ... Ces paroles-là, non pour une effet "solennel" mais parce que c'étaient ces paroles-là qu'on pouvait ressentir dans son corps, qui étaient d'une certaine manière déjà là, déposées en vous, et quand on les entendait, ces paroles, ça se ranimait : quelque chose de grand, un scintillement qui est le temps, pas dans le sens habituel mais comme une archéologie en vous, et pareil chez les autres, chez les êtres humains en général. Un instant ressentir aussi cela : cette participation. Que, d'une certaine façon, nous sommes tous les mêmes, que nous portons en nous le même paysage - et le même temps. Qu'il existe, a existé, un autre temps. Du temps qui n'est pas secondes minutes jours années décennies, ni ma vie, ni l'histoire de ma famille - mais du temps comme dans "les générations suivent le destin des générations." Un temps plus vaste, un paysage, le temps de tous.
Marcher en Dieu dans le temps, dans un paysage que nous partageons : nous faisons partie les uns des autres et parfois nous pouvons en avoir l'intuition fugitive. Une femme découpant des vêtements au-dessus d'un seau, longues bandelettes, soie velours guenille chiffon -
Dans cette langue-là, il y avait de la place. Pour tout. Je ne suis pas sans espace.
Et alors, dans ce temps-là, un instant, un fragment, voir sa propre vie. Un fragment dans un paysage avec des fragments d'autres paysages en soi, les paysages des autres. Par-delà toutes les limites. Par-delà les étroites frontières familiales, bien sûr : papa maman enfant, un héritage par-delà ces héritages-là, mais comprenant aussi ceux-là. Et avec quelle évidence il y avait aussi de la place dans ce paysage-là pour LA JOURNEE DU DESIR. Une vieillerie qui n'est pas toi mais qui est née en toi. La Putain Joyeuse, la Fille de Bornéo, whatever ; ce sont, n'étaient, que des appellations. Tout comme la Raclure, ainsi que ça s'était appelé un temps après l'enfance, l'enfance où il y avait eu un sens intuitif inné pour ce qui était soi et pourtant tellement plus grand que soi. Mais la Raclure alors, ainsi nommée par Tom Maalamaa, son altesse royale adossée à Gustav Mahler. La princesse du presbytère qui était l'héritière des mots, mais les mots soudain étaient là pour lui, il en avait fait sa propriété, et cette petite amie pathétique qui levait les yeux au ciel en silence à ses côtés. Parlant, acquiesçant, comme sur commande. En même temps, bien sûr, c'était plus facile : être d'accord, ça ne demandait pas de résistance. Etre dans son paysage à lui, qui se fortifiait plus il parlait, acquérait un cadre, le cadre de ses mots à lui, jusqu'à devenir le seul cadre possible.
Si bien que si on se trouvait être sa soeur Maj-Gun, on devenait pour sa part, tout entière, un excès. ... [...]
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