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La route des masses que ...

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La route des masses que ...  Empty La route des masses que ...

Message par Yugcib Sam 20 Juin - 7:10

... Sur la route des masses, que toute seule Clémentine parcourt, rêvant de grandes foules ; s'acheminent également Firmin et Barnabé, partis de leur village tôt ce matin, Clémentine un peu plus tard...
Firmin, dit "Le solitaire", au village, est un jeune homme qui se plaint souvent, de quelque mal l'affectant, aussi l'appelle-t-on Firmin le valétudinaire, de son deuxième surnom...
Barnabé est un jeune ferblantier qui s'est installé au village depuis peu...
Tous deux Firmin et Barnabé sont partis quelques heures plus tôt que Clémentine, de ce village perdu qu'est Saint Ragondin des Essarts dans le Cher et loir... Un village sans réseau internet...
Mais Clémentine, Firmin et Barnabé ne savent pas que tout au bout de la route là où les masses humaines se pressent dans les galeries marchandes des espaces commerciaux, ou dans les rues à boutiques, dans les marchés de quartier et même à bicyclette et à trottinette sur les pistes réservées aux véhicules à deux roues, il faut masquer son visage...
En effet dans la grande ville l'anonymat vient d'être décrété obligatoire par décision des Autorités qui à cet effet ont dépêché des escouades de flics chargés de vérifier si chacun est bien coiffé d'une casquette, porte des lunettes noires et un foulard lui entourant le nez, la bouche et le cou...
Ce qui va surtout contrister Clémentine, Firmin et Barnabé, en arrivant dans la grande ville la faim au ventre après une longue marche, c'est que dans les cafés où l'on peut croustiller, l'on n'aura pas même le droit de rabattre son foulard autour du cou, il faudra soulever une partie du foulard à peine au dessus de la bouche pour ingurgiter un morceau de son sandwich.
Partis plus tôt du village que Clémentine, Firmin et Barnabé sont peut-être arrivés à la ville... S'ils ne sont pas recrus de fatigue, suant et soufflant, assis au bord de la route, attendant de reprendre leurs forces.
Firmin qui, mine de rien "en pinçe" pour ce tendron de Clémentine, l'une des plus jolies jeunes filles du village, avait un jour dit à Barnabé : "cette route qui mène à la ville c'est la route des masses, ici à Saint Ragondin l'on n'y voit d'autre masse que celle de chair flasque du gros Louis tout déparpaillé, ce gros Louis croque-lardon, paltoquet de surcroît", autant dire un personnage vulgaire et vaniteux...
"Canulant tout de même, ce rêve de grandes foules, des trois jeunes villageois Clémentine, Firmin et Barnabé", disaient les voisins, les amis, les parents ! ... Et, quelques uns de renchérir : "en serinant les mêmes rengaines ils nous fatiguent!"
C'était prévisible : Clémentine rencontre Firmin et Barnabé assis au bord de la route, s'acagnardant, Firmin taillant avec la lame de son couteau un bout de bois, et Barnabé endormi, sa petite boîte en fer blanc contenant du tabac à priser, ouverte et renversée près de sa main droite...
Lorsqu'ils arrivent à la ville, plusieurs cars de flics stationnent de part et d'autre de la route et les trois jeunes gens doivent passer devant un poste de contrôle. Un policier en tenue de combat, casqué et masqué, interpelle les trois jeunes :"vos papiers s'il vous plaît" et demande "où vous rendez vous dans cette ville ?... Vous n'avez pas votre visage couvert, procurez vous de suite, là, derrière ce car, au stand d'accueil, des lunettes noires, une casquette et un foulard, sinon vous ne pouvez entrer en ville, ici personne ne doit être reconnu de qui que ce soit"...
"Mais dans les cafés et dans les restaurants, alors, comment on fera pour boire et manger" demande Barnabé, au policier.
"Vous soulèverez votre foulard au dessus de votre bouche... Et attention, vous devrez en outre ne prononcer aucune parole, aucun mot"...
"C'est ça, la ville?" s'écrie Clémentine...
Et puis, demande encore Barnabé au policier : "pourquoi nos papiers, puisque nous devons être anonymes, donc sans identité?"
Le policier est étrangement silencieux après cette question de Barnabé...
"Ça me revient à présent" intervient Firmin : "j'ai lu dans un journal qu'un écrivain poète avait appelé Acédie cette ville cobaye d' un monde déshumanisé où tout désir, toute volonté, toute expression de soi, sont annihilés... Mais où, cependant, les Autorités répertorient dans leurs fichiers, pour chaque personne, leur empreinte génétique, enfin tout ce qui se passe dans leur vie"...
En conclusion de cet échange entre le policier et les trois jeunes, Clémentine dit : " nous retournons dans notre Saint Ragondin, décidément cette route des masses, de ces masses que nous espérions embrasser de nos personnes, de nos visages, de nos regards, de nos paroles, et connaître dans leurs mouvements, dans ce qui les mêle... N'est pas la route idéale, nous aurions dû peut-être prendre celle qui mène à Saint Saturnin, le village voisin où réside Madame Basile, cette vieille femme encore dans toute sa sémillance et qui nous aurait si bien accueillis...
Mais... La route de la grande ville et des masses... Peut-être au printemps prochain... Si d'aventure, à la suite d'une résistance de quelques opposants dans cette ville cobaye, les Autorités décident de ne plus imposer l'anonymat"...

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